18 millions de jardiniers, et moi, et moi, et moi…
Plus de 18 millions de Français s’autoproclament jardiniers ! Un chiffre plutôt impressionnant. Jardiner sans pesticides, cela va de soi désormais, notamment depuis la loi Labbé Zéro Phyto, applicable aux particuliers depuis le 1er janvier 2019. Travailler la terre selon une règle de “jardiner au naturel”, des notions de compagnonnage de plantes et de légumes, de permaculture et d’agroécologie, de paillage avec la tonte de la pelouse (zone sans aucune utilité pour la biodiversité), cela me semble être une évidence. Mais faire plus, est-ce possible, à son échelle ? C’est quoi faire plus alors ? S’engager sur une charte complémentaire de bonne conduite, comme celle proposée par l’initiative Refuge LPO ?
L’espace potager de mon jardin est d’environ 500 m2. Je l’ai inscrit en refuge LPO, aucune superficie minimale exigée, même un balcon est accepté. J’ai construit plusieurs nichoirs et des mangeoires, alimentées principalement par des graines de tournesols bio. Tous les ans depuis, nous avons une famille de mésanges bleues et charbonnières (la règle du premier qui prend possession du nichoir à partager) qui y élisent domicile pour les nouveaux-nés au printemps. J’ai semé des plantes mellifères favorables aux abeilles et bourdons, comme la phacélie et la bourrache. Je m’émerveille du dynamisme et de la mélodie des chants d’oiseaux qui y font une halte fraîcheur : verdier, chardonneret, étourneau sansonnet, tourterelle turque, rouge-gorge… J’identifie des dizaines d’espèces d’insectes avec un peu d’attention, comme le lucane cerf-volant ou les lucioles.
Passer à l’échelle collective
Agir pour sa zone de potager et de jardin, c’est bien. Agir au niveau collectif, c’est mieux. Récemment, j’ai initié un dialogue et contacté la mairie de ma commune. Quel constat simple ai-je fait ? Pendant les restrictions du confinement au parc promenade du centre-ville, seul sur les lieux un matin ou seulement dérangé par un joggeur, j’y entends rapidement la présence d’un pic vert, une buse variable, des geais des chênes, des mésanges huppées, et bien entendu 4-5 rouges-gorges balançant leur queue de haut en bas par période de petit stress. Identification suffisante pour suggérer l’intérêt d’une reconnaissance complémentaire. C’est un très bel espace de verdure et de promenade, avec un étang, mais il est géré comme l’aurait fait un architecte déconnecté de la nature, sans âme ni mise en valeur : les arbres sont alignés et équidistants, aucun espace fleuri naturellement n’est favorisé, même 20% de toute la superficie serait un bon départ, un seuil suffisant. Tout est coupé méthodiquement, rasé pour “faire propre” pour les piétons qui passent sur le chemin. Tout est vert, sans âme. Seules les taupes cassent la monotonie des lignes et les sansonnets y sondent avec écho les hannetons.
C’est un héritage culturel incompréhensible, une tradition sans intérêt qu’on perçoit souvent d’ailleurs sur la propre pelouse privée de ton voisin : il dépense une énergie folle à faire pousser l’herbe avec des hectolitres d’eau, ressource devenant de plus en plus rare, pour la couper dès qu’elle pointe le bout de son nez, la tondre sans arrêt comme une récitation apprise par cœur ! L’été dernier, sur sol calcaire, j’ai eu la merveilleuse émotion de voir une “meute” de lotier corniculé grandir sur ma pelouse.J’ai alors déclaré cette zone en ZAD, matérialisée par des cailloux pour coupe par tondeuse interdite. Le tapis au sol, vert, était d’une douceur incroyable. Comme le humus d’une forêt, poser son pied dessus donne une sensation sublime. Alors oui, je crois à la préservation de zone, même partielle, pour les fleurs sauvages. Et inscrire un endroit en refuge LPO permet de changer de braquet et d’envie. J’ai d’ailleurs suggéré à la commune d’y voir une opportunité éducative pour les écoles primaires de la ville en participant par des ateliers à la construction des nichoirs, et à l’observation du cycle de la vie d’un oiseau.
Redonner de la place aux autres espèces
Ma famille a également hérité d’une parcelle agricole en fermage. Je suis également sensible au respect de la vie sauvage et des animaux. Le renard et le blaireau sont des animaux extraordinaires, doués d’une sensibilité hors du commun, et pourtant, ils sont tous les deux inscrits sur la liste des ESOD (Espèces Susceptibles d’Occasionner des Dégâts), le nouveau terme politiquement “correct” remplaçant celui “d’espèces nuisibles”. Ce statut les fiche malheureusement dans le droit à la chasse agressive à leur égard, y compris cette pratique cruelle de la vénerie sous terre. La preuve est que le Préfet de Loire-Atlantique a publié un arrêté début novembre, en phase de début de 2e confinement, pour autoriser la régulation du grand gibier (sangliers, cervidés) et offrir en dessert bûche-glacée le tir du renard possible !
A mon niveau, quelle action est possible ? Avec un dialogue avec le paysan exploitant de la parcelle, je peux inscrire ma parcelle comme refuge ASPAS et/ou la retirer de la zone chassable par l’ACCA (Association Communale de Chasse Agréée). Je n’ai jamais mis les pieds dans cette parcelle, mais je n’ai pas envie de savoir qu’elle puisse servir de zone de tuerie d’animaux qui méritent de notre part un autre regard. L’an dernier, j’ai également pu voir de mes yeux à deux reprises, un renard se baladant à l’aube, ce moment de rencontre en campagne a une valeur fondatrice de valeurs. Je peux également contractualiser un ORE (Obligation Réelle environnementale) (Code environnement, L132-3) : un propriétaire qui souhaite que son bien immobilier soit géré d’une manière qui préserve la nature peut contractualiser un ORE (même si la procédure est annoncée “complexe”), en définissant un cadre respectant nos valeurs, comme l’ajout et entretien de haies, interdiction usage pesticides, agroécologie…).